SAINT JEAN CLIMAQUE

SAINT JEAN CLIMAQUE : SUR L’AFFLICTION QUI MENE A LA JOIE
Aperçu de l’œuvre de Jean Climaque « L’Echelle Sainte » et particulièrement se son enseignement sur « l’affliction qui mène à la joie » et de sa place dans la vie ascétique de l’Eglise.
(Source : http://www.monachos.net/content/patristics/studies-fathers/65-john-klimakos-on-repentance-that-leads-to-joy)

« Ceux qui, revêtus d’un corps ont entrepris l’ascension vers le ciel, devront nécessairement se faire violence et souffrir sans cesse ; en particulier dans les premiers stades de leur renoncement, jusqu’à ce que leur inclination au plaisir et leur cœur insensible se soient changés en une disposition stable d’amour de Dieu et de pureté, grâce à une componction manifeste » [Premier Degré : du renoncement (20)].

St Jean Climaque commence très franchement son « Echelle ». Il n’enjolive pas ses mots dans son discours, mais parle plutôt de façon simple et avec l’intention d’indiquer le chemin à suivre. Il y a une certaine «honnêteté brutale» dans sa direction spirituelle, car il ne fait aucune tentative de décrire le chemin du salut et de la sanctification d’une manière qui sera agréable aux hommes, mais plutôt d’une manière conforme à la réalité de Dieu. Ce n’est pas n’importe quel père spirituel qui peut commencer son manuel de « trente degrés » pour la croissance spirituelle par le redoutable «renoncement au monde » (premier degré).

Pourtant, bien que Jean Climaque va directement au but en choisissant de présenter la lutte ascétique par des descriptions claires du labeur et du travail à effectuer, il invite également à réfléchir sur la tâche suprême à accomplir dans la vie spirituelle. Souvent, la dureté même de ses paroles, qui sont comme un souffle qui pousse le lecteur à l’action, donnent à ce même lecteur une idée de la profondeur de la conviction que Jean Climaque a sur le caractère positif de la lutte ascétique car elle rend la personne humaine plus proche de Dieu.
Dans la citation ci-dessus, prise du premièr degré de son échelle, le Saint est franc et honnête au sujet de la peine et de l’effort impliqués dans la lutte ascétique: ceux qui y participent doivent en effet « se faire violence et souffrir sans cesse » et «manifester de la componction». Pourtant, la même phrase ne se termine pas avant qu’il ait affirmé la grande espérance qui est l’objectif de la lutte qui n’est qu’un finalement qu’un moyen afin que «notre inclination au plaisir et nos cœurs insensibles parviennent à l’amour de Dieu». Nous devons faire attention, lors de la lecture de l’Echelle de Jean Climaque, que la dureté et l’apparente négativité de ses paroles sur le repentir, par leur étrangeté à nos oreilles modernes, nous détournent des commentaires tout aussi poignants et forts sur le salut, la transfiguration, et la déification.

Nous ne pouvons pas laisser notre citation ci-dessus sans aborder un autre point important relatif à l’ensemble de la théologie de St Jean, et qui apparaît dans sa ligne d’ouverture: «Ceux qui revêtus d’un corps ont entrepris l’ascension vers le ciel …». Notre petit aperçu de la spiritualité de ce grand maître du repentir ne peut mener nulle part si l’on n’a pas d’abord assimilé cette notion de base qui est que la quête spirituelle et tous les travaux de l’ascète n’ont rien à voir avec une « libération de l’âme» de notre nature corporelle, libération par laquelle le corps est réprimé afin que l’âme puisse jaillir rafraîchie et renouvelée. Dans l’esprit de Saint Jean Climaque il ne fait aucun doute que la vie ascétique, voire la vie de chaque chrétien, est un voyage dans lequel l’ensemble de la personne humaine, corps et âme est engagé, et qui, à la résurrection et dans la plénitude du Royaume, fera de nouveau intervenir la totalité de cette personne. Ainsi, Jean Climaque ne cherche pas à rendre équivalente la spiritualité avec une théologie de l’âme, mais sa théologie est celle de l’ensemble de la personnalité de l’homme. Nous ne trouvons pas dans l’Echelle Sainte de distinction nette entre l’enseignement concernant les besoins corporels et ceux spirituels, car cette distinction très était étrangère à Jean Climaque. La personne humaine est un mystère, une unité indescriptible du corps et de l’âme, indescriptible dans son être, et unique parmi les créatures de Dieu.

Parmi toutes les créations de Dieu, seule l’âme a son être dans quelque chose d’autre (le corps) et non pas en elle-même. En effet, l’un des plus grands mystères de l’existence pour Jean Climaque consiste en la séparation temporaire de ces deux éléments indissociables au moment de la mort.
Il écrit:

Il est une créature qui a reçu son être non en elle-même, mais dans une autre ; et l’étonnant, c’est qu’elle puisse subsister en dehors de ce en quoi elle a reçu l’être.[ Vingt-sixième Degré : du discernement (92)].

Lorsque St Jean Climaque décrit la personne humaine, il la considère comme un tout organique dont le corps et l’âme ne peuvent pas être extraits séparément sans détruire l’humanité de la personne, à l’exception toutefois du grand mystère temporaire allant du moment de la mort à la résurrection. Pourtant, il n’ignorait pas que cette façon d’appréhender l’humanité de la personne présente un défi unique, car si le corps fait partie intégrante de la personnalité, Jean Climaque savait que ce même corps peut être un obstacle rendant difficile le cheminement spirituel de la personne. Son réalisme ne le laisse pas ignorer les passions de la chair, et leur étonnante capacité à maintenir une personne en captivité. Comment traiter ce corps qui est à la fois une bénédiction et une malédiction? Jean Climaque se pose à lui-même la question :

Quel est donc ce mystère en moi? Quel est le sens de ce mélange de corps et d’âme? Pourquoi suis-je constitué d’un ami et d’un ennemi de moi-même? Dis-le moi, toi, ma compagne, ma nature, car je n’interrogerai personne d’autre pour m’en instruire. Comment ne pas être blessé par tes coups? Comment fuir ce danger qui tient à ma propre constitution? Puisque j’ai déjà promis au Christ de te haïr. Comment pourrai-je vaincre ta tyrannie? Car je suis fermement résolu à être ton maître [Quinzième Degré : de la chasteté 904A].

Dans cette lutte que Jean mène avec sa propre nature, nous trouvons une précision sur un élément essentiel de sa spiritualité: nous ne voyons pas que Jean Climaque ait la moindre envie de détruire son corps ou bien de le réprimer dans une sorte de non-existence.
Pas du tout ! A son corps il dit : «je suis résolu à être ton maître ».Aussi dramatique que ses paroles peuvent souvent être, aussi négatifs qu’elles puissent parfois paraître, c’est en vain que nous essaierons de trouver chez Jean Climaque une théologie de la répression du corps ; une telle approche serait fondée sur une perception du corps comme étant le mal, et c’est très éloigné du point de vue de Jean Climaque. Au lieu de cela nous trouvons une théologie de la transfiguration du corps. J. Chryssavgis, qui a écrit ce qui est probablement le meilleur livre sur l’anthropologie de Jean Climaque, pose la question suivante:

Comment peut-on se détourner des mauvais désirs de la chair? D’une certaine façon, cette question est mal posée. Nous ne nous détournons pas de la chair en soi, mais, comme cela a été souligné, nous la mettons sur le droit chemin, car la chair dans son état actuel est une manifestation de notre état de chute devant Dieu [Chryssavgis p.54].

Nos actes de repentir et notre vie d’ascétisme sont pour St Jean Climaque, nos efforts personnels en vue de la transfiguration de notre personne. L’humanité déchue qui constitue notre «chair», est remise en forme dans le cours du grand combat de notre vie de sorte que ce combat sert à recouvrir sa condition déchue et lui permet de retrouver la bonne santé spirituelle dans un corps divinisé. En d’autres termes, l’ascèse constitue pour Jean Climaque notre contribution humaine au processus de divinisation qui est le l’objectif du salut. Il n’a pas écrit un traité en vue d’instruire les hommes au sujet d’un certain salut futur, mais il a voulu les informer de l’action à mener dans la vie présente, de la divinisation (theosis) et de la transfiguration du corps de la personne dans ce qui est pur et divin. Chryssavgis écrit:

Jean Climaque n’a pas analysé une personne en particulier, et encore moins une personne malade. Il a analysé, observé et examiné, dans sa cellule dans le désert du Sinaï, le pêcheur divinisé et transfiguré, la personne humaine authentique. Et il nous assure que nous sommes tous comme le Christ sur le mont Thabor. C’est le Christ qui est un homme en pleine santé parce qu’il est le Dieu-homme [Chryssavgis :p.50].

Ceci est un commentaire remarquable, car il éclaire la perception que St Jean Climaque possède de la vie ascétique comme étant le moyen en vue d’atteindre la déification et la transfiguration, mais aussi parce que ce commentaire se place directement dans la tradition des Pères en parlant de la déification de l’homme comme un retour à l’état naturel de l’humanité. Notre salut n’est pas une ascension vers un royaume surnaturel, mais plutôt notre élévation de notre sous-existence vers ce qui est réellement notre nature. Et Jean Climaque apporte une information originale quand il affirme que ce relèvement de notre humanité de son état de mort n’est pas quelque chose qui est hors de portée, ou bien simplement une promesse en attendant la Seconde Venue du Seigneur. Décrivant la transfiguration en termes d’impassibilité, il écrit : «l’impassibilité est la résurrection de l’âme avant celle du corps. » [Vingt neuvième Degré : de l’impassibilité (3)]
Il s’agit d’un processus de divinisation qui se passe dans ici et maintenant, où dans notre lutte contre notre nature déchue nous atteignons notre vraie nature, et nous devenons réellement des être humains à part entière.

Cette anthropologie de l’humanité qui se trouve dans un état contre nature et qui cherche le »retour » à son état naturel divin marque son empreinte à l’Echelle Sainte. Partant de là, il définit le cadre sur lequel il peut établir une spiritualité de la véritable ascèse, car l’ascétisme, du point de vue de Jean Climaque, n’est rien de plus que l’effort volontaire pour rétablir la personne humaine dans son état naturel. C’est l’être humain (et ici, encore une fois, nous parlons de l’être humain à la fois corps et âme) en harmonie avec la volonté de Dieu, de telle sorte que notre opposition délibérée à son plan divin est démontée, pièce par pièce, peu à peu, jusqu’à ce que la déification puisse ainsi se produire.

En discutant de l’application pratique de cette ascèse, nous avons de nouveau rencontré le caractère direct de la parole de Jean Climaque. Il ne dissimule pas le fait que notre nature n’est pas seulement une nature déchue, mais qu’elle est bel et bien tombée très bas. Et notre corps qui est censé être notre ami est devenu conditionné à agir comme notre ennemi. Notre lutte, alors, n’est pas à prendre à la légère et nous ne devons pas nous attendre à ce qu’elle soit facile. Jean Climaque met en garde les moines de Raithou de la peine et la douleur que cela implique et ce faisant il utilise la métaphore du feu:

Tous ceux qui entreprennent ce bon combat, dur et âpre, mais même temps aisé, doivent comprendre qu’il leur faut se jeter dans le feu pour obtenir que le feu immatériel habite en eux. Mais, que chacun s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange ce pain avec des herbes amères et qu’il boive cette coupe avec des larmes, de peur que le combat ne tourne à sa propre condamnation. [Premier degré : Du renoncement (22)].

L’ascèse, et même la transfiguration, sont essentiellement des actions de la purification divine, et comme l’or est purifié par la chaleur étouffante de la flamme, nous devons aussi nous attendre à ce que notre purification associe des éléments qui sont des « herbes amères » à nos sens, tellement ils sont habitués aux plaisirs. Et nous devons veiller à accepter ces éléments comme essentiels et nécessaires à notre propre transfiguration, et ne pas tenter de les éviter, parce qu’une ascèse en paroles n’est pas grand chose, alors qu’une ascèse véritable implique toutes les fatigues corporelles. «Efforçons-nous d’apprendre les choses divines plus par nos travaux et la sueur que par de simples paroles, en effet, au moment de mort, ce sont des actes et non des mots qu’il faudra présenter « [Vingt-sixième degré : du discernement (30)]

Et l’ascète plonge volontiers lui-même dans le feu, sachant que son acte n’est pas un acte de mort, mais qu’il mène à la vie. Mais que fait-il durant ce long processus de la purification? Que doit être le but le but de toutes ses actions sur Terre? Pour cela, St Jean répond avec un mode d’enseignement qui semble directement fondé sur l’injonction biblique de St Jean-Baptiste: « Repentez-vous car le Royaume des Cieux est proche» (Mt 3,2).

Le repentir est un concept très mal compris dans nos temps modernes. Il est venu à signifier la douleur, ou le regret pour le péché; une reconnaissance d’avoir causé du tort et le sentiment sincère de la pénitence qui l’accompagne. Mais tandis que ces éléments sont certes des éléments valables et essentiels du repentir, ils sont loin de saisir toute la profondeur de la compréhension que les Pères ont du repentir. Le repentir dans la tradition patristique n’est pas quelque chose relégué à la douleur des émotions, un simple chagrin, quelle que soit d’ailleurs son intensité ou sa sincérité. Il s’agit plutôt d’une cure complète et active sur laquelle la personne humaine tout entière s’engage, un véritable acte de métanoia c’est-à-dire «une transformation de son état d’esprit et du but que l’on se fixe dans la vie ». Nous voyons dans cette définition même un élément qui pousse au-delà de l’émotionnel: la tristesse, le deuil, tous font partie intégrante du vrai repentir, mais ils doivent être faits du matériau qui suscite la transformation de la personne repentante. Il ne faut pas tout simplement éprouver de la tristesse, mais il faut aller de la tristesse vers le fait de ne plus pêcher. Le repentir est un acte de changement, où l’aiguillon de la componction inspire l’être humain de se libérer de ses habitudes de péché et de mener une vie selon Dieu.

Et ici nous retrouvons l’interconnexion de la pensée de St Jean Climaque : car si la metanoia (terme qui signifie littéralement transformation et changement d’esprit comme on l’a évoqué prédemment), Jean Climaque, comme nous l’avons également déjà souligné, n’accepte pas qu’il y ait de séparation nette entre l’esprit et le corps. Ainsi, le repentir pour lui est un changement actif et complet de la personne. Non seulement l’esprit doit se détourner de son péché, mais il doit en être de même la chair, car non seulement l’âme doit être incitée à changer par le moyen de la componction et du deuil, mais c’est aussi le corps qui doit s’efforcer de renoncer à son péché et de se rapprocher de Dieu.
St Jean Climaque comprend le repentir dans son sens le plus global: le repentir est la reconnaissance par l’être humain de l’état de pêché de l’intégralité de son être, et son effort actif pour changer et sortir de ce «vêtement de peau» et de passer à l’état transfiguré de la vie en Christ.

Ainsi Jean Climaque peut parler du repentir dans termes très durs. La transformation de la personne est analogue à une bataille; pendant des années alors que l’ennemi d’un soldat s’est entraîné pour le vaincre, pareillement, la chair d’un individu a passé sa toute sa vie à s’accoutumer au péché et à sa nature déchue, et se présente donc face à l’ascète repentant comme un ennemi redoutable. Ce qui pourrait aider l’ascète est souvent et surtout au début du combat l’ennemi lui-même. Pour vaincre un ennemi, il faut combattre activement, et c’est précisément ce qui est décrit dans l’Echelle Sainte. En effet, St Jean Climaque pourrait être considéré comme l’un des premiers Pères ayant utilisé ce terme de «guerre spirituelle» dont on abuse parfois. En effet, il voit l’ascèse du chrétien repentant comme rien de moins qu’une bataille contre soi-même et contre les forces de l’ennemi qui tentent de l’empêcher de sortir hors de son état déchu. Parfois, la bataille est féroce, et la lutte implique de la douleur, encore que la douleur est toujours mise en perspective dans un cadre plus général car les aspects «négatifs» (toujours d’après Jean Climaque) sont toujours englobés à l’intérieur de l’objectif céleste qui est constamment mis en vue.

« Bois volontiers le mépris comme une eau vivifiante, quand il t’est présenté par n’importe quel homme qui cherche à te faire boire le purgatif qui débarrasse de la luxure. Alors se lèvera dans ton âme l’aurore d’une profonde pureté, et la lumière de Dieu ne s’obscurcira plus dans ton cœur » [Quatrième degré : de l’obéissance (94)].
Dans le même degré, il donne un enseignement qui peut paraître dur: le commencement de notre lutte ascétique doit impliquer la mortification, la fatigue et l’effort. Pourtant il ne s’agit pas du but bien qu’il dise « La fin de la mortification est sans aucun mouvement et sans aucun sentiment de peine » [Quatrième Degré : de l’obéissance (4)] Même quand il parle de « haïr le monde » ce qui est l’un des concepts les plus mal compris dans la spiritualité ascétique, il le fait avec une très claire compréhension que «l’homme qui est en est venu à détester le monde a échappé à la tristesse. » [Deuxième Degré : du détachement (11)] .
Jean Climaque ne nie pas les aspects négatifs du repentir (en effet, il est beaucoup plus réaliste à leur sujet que la plupart des écrivains qui sont venus avant ou après lui), mais il ne considère jamais le repentir comme étant un acte négatif. Chaque effort, chaque douleur, quelle que son intensité, est toujours mis en correspondance avec son but ultime. Ainsi, il peut même décrire avec beaucoup d’enthousiasme les conditions sordides de la prison (qui est un monastère de pénitents) et de ses habitants, où :

On en voyait dont la langue était brûlante et qui la tiraient hors de leur bouche à la manière des chiens. Quelques-uns se châtiaient en s’exposant au soleil brûlant et d’autres se tourmentaient par le froid. D’autres s’arrêtaient de boire après avoir pris le peu d’eau nécessaire pour ne pas mourir de soif. D’autres, après avoir tout juste mangé un peu de pain, rejetaient le reste loin d’eux, disant qu’ils étaient indignes de la nourriture des êtres raisonnables puisqu’ils s’étaient comportés comme des animaux [ Cinquième degré : de la pénitence (15)].
On espère presque, à la première lecture du cinquième degré de l’Echelle Sainte au cours duquel la prison est décrite, que Jean Climaque est en train d’inventer un lieu fictif et des souffrances imaginaires car les scènes décrites sont dures à supporter. Pourtant, cela est peu probable connaissant l’honnêteté qui caractérise l’auteur et sa simplicité. Chryssavgis écrit,

La prison est d’une importance particulière parabolique. Mais ce n’est pas une fiction. Jean Climaque effectue certainement la description d’un lieu réel de l’internement pénitentiel monastique à Alexandrie, un lieu de pleurs et de lamentations [Chryssavgis p.131].

Chryssavgis poursuit en notant que, Jean Climaque n’a pas l’intention de repousser ses lecteurs en racontant l’histoire de la prison, et il a certainement raison de le faire. Jean Climaque lui-même note que les choses décrites sont «incroyables», «difficiles à croire, et peuvent même sembler à certains comme menant au désespoir.
«Je n’en doute pas, mes bons amis, les combats de ces bienheureux tels que je viens de les raconter, paraîtront à certains incroyables, à d’autres difficiles à admettre, et d’autres encore estimeront qu’ils portent au désespoir. Mais pour l’âme courageuse, ces exemples seront plutôt un aiguillon et une flèche de feu; et il repartira en emportant le zèle dans son coeur» [Cinquième Degré : de la pénitence (29)].

L’audition de ces récits de souffrance extrême n’est pas destinée à nous plonger dans le désespoir, mais bien au contraire pour nous donner l’espoir, car elle nous assure que si la bataille est souvent longue et difficile, et que des mesures extrêmes sont nécessaires pour le combat, il s’agit d’un combat pour se hisser vers la joie d’en haut et qui a été mené victorieusement par les saints.

C’est à cette notion même de la joie que nous arrivons à la fin de cette étude. Ici, en un seul mot, Jean Climaque résume ce qu’il considère comme le but ultime de la vie spirituelle. Nous avons déjà décrit ce but ultime comme étant la « theosis », c’est-à-dire la transfiguration réelle et la déification de la personne humaine, et nous n’avons pas besoin de modifier cette définition maintenant. Mais une fois que nous avons commencé à comprendre la position de Jean Climaque sur le repentir et la transformation (métanoïa) de l’homme, nous pouvons commencer à voir comment sa notion de transfiguration personnelle implique la participation d’un individu à la joie véritable.

Il y a une obscurité liée au péché et qu’admet volontiers Saint Jean Climaque, et cette obscurité est causée par une séparation d’avec nous-mêmes et de Dieu. Si Dieu est joie, notre éloignement de Lui signifie notre absence de participation à la joie elle-même. Et ainsi, alors que nous progressons le long de la voie du repentir, et que nous retrouvons notre véritable nature (celle qui est véritablement la nôtre), nous commençons à ressentir la joie d’une manière nouvelle et puissante. Ce n’est pas la joie que nous avons autrefois connue, provoquée par la satisfaction de nos désirs dans notre état déchu. Il s’agit plutôt d’une joie sainte et spirituelle, donnée par Dieu Lui-même et qui se développe à l’intérieur de la personne humaine dans son processus de croissance spirituelle. C’est « l’affliction qui produit la joie», issue de notre repentir et de la grâce de Dieu.
C’est sans doute la contribution la plus créative et originale de Jean Climaque à la théologie spirituelle: la tristesse qui accompagne le repentir et une vie ascétique authentique sont finalement sources de joie.
Jean Climaque relie étroitement cette notion à un autre élément qui prend beaucoup de place dans son Echelle Sainte: le don des larmes spirituelles. Comme Dieu sanctifie l’homme et le rapproche de sa nature divine, Il réunit dans une sorte de mystérieuse unité, les émotions apparemment disparates de la joie et la douleur jusqu’à ce que, à un moment donné sur le chemin spirituel de l’individu, les deux se confondent en un seul grand acte d’amour.

Quand je considère la nature réelle de la componction, je suis frappé d’étonnement : comment ce qu’on nomme affliction et tristesse peut-il contenir, caché dans son sein, tant de joie et d’allégresse, comme la cire renferme le miel ? [Septième Degré : de l’affliction qui produit la joie (54)].

Ce mélange unique d’émotions, qui s’accomplit par la grâce de Dieu constitue dans le cours du combat ascétique une fontaine de larmes différentes de celles versées auparavant, car elles viennent de Dieu et ne sont pas de simples larmes de tristesse, mais les larmes de la sanctification spirituelle. Ce sont des larmes qui lavent nos péchés et nous montrent que nos prières ont été agrées par Dieu [Septième Degré : de l’affliction qui produit la joie (8-9)]. Elles nous invitent à nous rendre compte que «le Seigneur est venu sans y être invité » dans les profondeurs de notre être. [Septième Degré : de l’affliction qui produit la joie (28)] Nous sommes donc invités à un amour plus grand et plus intense envers Dieu qui est le dispensateur de ces larmes.
Chryssavgis écrit: «Il y a un optimisme sous-jacent chez Jean Climaque, consistant dans sa croyance que l’homme a été créé par Dieu pour la joie et non pour la tristesse, pour le rire et pas pour les larmes. » [ Chryssavgis, p.149]
A mesure que l’on grimpe les degrés de l’échelle de la lutte ascétique, et que l’on acquiert un repentir de plus en plus intense et sincère, nous sommes happés par Dieu dans le cœur de la vraie joie, et cela est la grande promesse de St Jean Climaque à ceux dont il a la charge spirituelle. À la fin de son Echelle Sainte, il culmine sa pensée avec un appel à Dieu qui réaffirme le désir complet de la personne humaine:

Éclaire-nous, désaltère-nous, guide-nous, prends-nous par la main, puisque nous voulons désormais monter jusqu’à toi. Car tu règnes sur toute chose. Et maintenant tu as ravi mon âme (Cant. 4,9) [Trentième degré : de la charité (38)]

Et puis, ne souhaitant quitter ses lecteurs, sans l’espoir le plus élevé et sans encouragement, il les exhorte :

Montez, frères, montez, disposez avec ardeur des ascensions dans votre cœur (Ps. 83,6). Prêtez l’oreille à celui qui dit : « Venez, allons à la montagne du Seigneur, à la maison de notre Dieu (Is.2,3), qui rend nos pieds comme ceux des biches et nous tient debout dans les hauteurs (Ps.17,34),afin qu’avec son cantique nous ayons la victoire (Hab.3,19) [Trentième degré : de la charité 1161A].

Références :
L’Echelle Sainte de Saint Jean Climaque. Traduction française par le P. Placide DESEILLE.
Spiritualité Orientale n°24. Abbaye de Bellefontaine (1987).
Chryssavgis, John. Ascent to Heaven: the Theology of the Human Person According to Saint John of the Ladder. Brookline: Holy Cross Orthodox Press, 1989.

Saint Jean Climaque est célébré le quatrième dimanche du Grand Carême. Il est originaire du Proche-Orient et il a été higoumène (supérieur) du monastère de Sainte Catherine au Mont Sinaï au VIIème siècle.

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