Le Dieu inutile

Source:https://blogs.ancientfaith.com/glory2godforallthings/2020/05/04/the-useless-god/

Ce texte est une version révisée d’un entretien ayant eu lieu lors d’une retraite plus tôt cette année. Pendant cette période de diverses mesures de quarantaine, lorsque notre «utilité» semble contrariée, cela semble une méditation importante. Je prie pour que ce soit inutilement utile!

L’affirmation, «Dieu est inutile», va, sans aucun doute, surprendre celui qui l’entend et qui va la considérer comme une insulte, et non pas une déclaration d’un chrétien croyant fidèle (encore moins venant d’un prêtre). Cette réaction dit beaucoup sur ce que nous ressentons à propos du mot «inutile» plutôt que sur ce que nous ressentons pour Dieu. Dans le langage américain actuel, «inutile» est surtout un terme péjoratif. Qui voudrait être considéré comme inutile?

Considérez cet extrait d’une lettre de l’auteur et dramaturge Oscar Wilde:

Une œuvre d’art est inutile comme une fleur est inutile. Une fleur s’épanouit pour sa propre joie. Nous gagnons un moment de joie en la regardant. C’est tout ce que l’on peut dire de nos relations avec les fleurs. Bien sûr, l’homme peut vendre la fleur et la rendre ainsi utile, mais cela n’a rien à voir avec la fleur. Cela ne fait pas partie de son essence. C’est accidentel. C’est une mauvaise utilisation. Tout cela, je le crains est très obscur. Mais le sujet est long.

Que l’absence d’utilité soit un terme injurieux en dit long sur notre époque. Stressés, anxieux, malades avec des vies fatiguantes nous nous trouvons obligés de justifier nos loisirs. Je «charge mes batteries», disons-nous, en donnant au travail la priorité ultime. Nous ne nous reposons que pour travailler plus dur.

Il y a beaucoup de choses inutiles qui marquent nos vies: la beauté, le repos, la joie. En effet, il semblerait que bon nombre des choses que nous apprécions le plus soient, pour la plupart, tout à fait inutiles. Qu’est-ce que l’on entend par utile?

La chose (ou la personne) utile tire sa valeur d’autre chose que d’elle-même. C’est un outil. J’apprécie l’outil car il me permet de faire autre chose. Dans de nombreux cas, lorsque l’utilité de l’outil a expiré, il est simplement jeté. Dans une société du jetable, nous nous noyons lentement dans une mer d’obsolescence, entourés de choses dont nous n’avons plus besoin.

Voici un extrait d’un article de la revue National Geographic:

Imaginez 15 sacs d’épicerie remplis de déchets en plastique empilés sur chaque mètre de rivage du monde. C’est la quantité de déchets plastiques terrestres qui se sont retrouvés dans les océans du monde en un an seulement. Le monde génère au moins 3,5 millions de tonnes de plastique et autres déchets solides par jour…. Les États-Unis sont les rois des déchets, produisant 250 millions de tonnes de produits par an, soit environ 4,4 livres ( environ 2kg) de déchets par personne et par jour.

Notre mer de déchets témoigne de l’éthique de l’utilité.

« Tu veux seulement m’utiliser. » Cette déclaration, sur les lèvres d’un amant ou d’un ami, est un acte d’accusation effrayant. Nous voulons être aimés pour nous-mêmes, pas pour ce que nous pouvons faire, encore moins comme but pour autre chose. Nous voulons être aimés comme des êtres inutiles.

Il convient de noter que parmi les premiers commandements de Dieu, il y a celui de l’inutilité:

Tu travailleras six jours et tu feras tout ton travail, mais le septième jour est un sabbat pour l’Éternel, ton Dieu. Vous n’y ferez aucun travail, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni votre bétail, ni le voyageur qui se trouve chez vous. Car en six jours l’Éternel a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, et Il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié.

Le seul jour sur sept décrit comme «saint» est le jour où il nous est ordonné d’être inutiles (non productifs). En termes chrétiens, cela fait partie de l’œuvre de Dieu en nous de nous faire ressembler à Lui – nous formant et nous façonnant à l’image du Christ.

L’utilité – le profit – est une valeur forte dans le monde de la modernité – cette agglutination philosophique et culturelle qui a vu le jour il y a un peu plus de 200 ans. Inventer de meilleures charrues et batteuses, trouver des moyens de rendre tout plus rapide, moins cher et «meilleur», en effet, faire des choses dont personne n’avait jamais rêvé, est une excellente façon de faire croître une économie. Si vous l’associez au commerce mondial, le niveau de vie augmente et certaines personnes deviennent assez riches.


Le génie de la modernité ne consiste pas dans son amour pour la technologie, ni même pour ce que la technologie peut faire. La modernité est devenue super-compétente en technologie simplement parce qu’elle a appris à la rentabiliser. Nous ne fabriquons pas de meilleurs téléphones parce que nous avons besoin de meilleurs téléphones: nous les fabriquons pour pouvoir les vendre. Une grande partie de la recherche médicale consiste à trouver des moyens d’étendre les brevets plutôt que de guérir les maladies. La modernité n’est pas l’âge de la technologie: la modernité est l’âge du profit.

Si vous vous impliquez dans ce genre de choses pendant un bon nombre de décennies et que vous l’associez à des idées en vogue sur l’individualité et la liberté des hommes, vous pouvez, avant longtemps, commencer à penser que vous formez de meilleurs humains avec de meilleurs engins, batteuses et iPhones. Bien sûr, de nombreux humains vivent des moments difficiles car ils éprouvent un sentiment d’inutilité tenace qui ne semble pas disparaître.

L’inutilité liée au jour du sabbat avait une signification beaucoup plus profonde ainsi qu’une application de plus grande portée. Le jour du sabbat lui-même n’était qu’un signe de tout un mode de vie. Étrangement, l’inutilité était profondément liée à la question de la justice et, en quelque sorte, devient le fondement de la compréhension du Royaume de Dieu lui-même.

Le jour du sabbat de l’ancien Israël n’était qu’une petite partie d’une compréhension plus large du temps et de l’intendance de la création. Un jour de la semaine était réservé et aucun travail n’était à faire. Une année sur sept devait également être réservée, et aucun travail dans les champs ne devait être effectué pendant toute l’année – la terre devait rester en jachère – non labourée. Après sept cycles de sept ans, une cinquantième année devait être réservée.

Chaque septième année, non seulement la terre était en jachère, mais toutes les dettes (à l’exception de celles des étrangers) devaient être annulées. Au cours de la cinquantième année, ces mêmes choses s’appliquent, mais la terre revient à sa fonction d’origine. Cette cinquantième année commence avec le Jour des Expiations et était connue comme «l’Année du Jubilé».

Dans la prédication des prophètes, en particulier d’Isaïe, cette image de la gestion des dettes et de la terre reçoit une interprétation cosmique en plus de sa place dans le cycle annuel d’Israël. L’année jubilaire devient «l’année acceptable du Seigneur», prémisse d’un jour à venir où toute la création sera libérée – un jubilé à venir pour tout le monde et toute chose.

Lorsque Jésus se lève pour lire les Écritures dans la synagogue de Nazareth, il lit le livre d’Isaïe. C’est le passage qui parle de cet acte cosmique à venir de remise et de liberté:

Et il est venu à Nazareth, où il avait été élevé. Et selon sa coutume, il est allé à la synagogue le jour du sabbat, et il s’est levé pour lire. Et le rouleau du prophète Isaïe lui a été donné. Il a déroulé le rouleau et a trouvé l’endroit où il était écrit: «L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer la liberté aux captifs et retrouver la vue
aux aveugles, libérer ceux qui sont opprimés, et pour publier une année de grâce du Seigneur. Ensuite, il roula le livre, le remit au serviteur, et s’assit. Tous ceux qui se trouvaient dans la synagogue avaient les regards fixés sur lui. Alors il commença à leur dire: Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. (Luc 4: 16-21).

Ce passage d’Isaïe est choisi par Christ pour décrire ce qu’il est sur le point de faire. Il va prêcher en disant: « Le Royaume de Dieu est proche. » Cette Écriture décrit à quoi cela ressemble. Les pauvres entendent de bonnes nouvelles, les captifs sont libérés; les aveugles reçoivent leur vue; les opprimés ont la liberté – il y a une libération qui se produit jour après jour dans Son ministère. En effet, ce n’est pas pour rien qu’il semble préférer le jour du sabbat à tous les autres pour faire ce travail. Il révèle le vrai sens et le véritable but du sabbat.

Et cela me ramènera à l’inutilité.

Aujourd’hui, nous considérerions les terres en jachère pendant un an comme un substitut primitif à la «rotation des cultures», un moyen utile de promouvoir une agriculture responsable. Ce n’est pas son véritable objectif. C’est une interruption délibérée du cycle de productivité et la maximisation du profit. Il dit: «Non. Il y a quelque chose de plus important.»

La Loi dans l’ancien Israël n’était pas une pratique inconnue au Moyen-Orient. D’autres royaumes de la région pratiquaient une remise de dettes occasionnelle, principalement pour garantir la position d’un souverain. Israël semble être le premier cas où le pardon de la dette et la pratique du repos sabbatique – pour les personnes, la terre et les animaux, ont été inscrites dans le tissu même de la vie sociale et ont reçu le sceau divin. Et, même pendant les années non sabbatiques, il y avait une interdiction de récolter en entier les champs. Une portion devait être laissée pour que les pauvres puissent «glaner» les champs pour leurs besoins. L’ efficacité maximale était interdite. Ce mode de vie n’était pas un effort pour consolider le pouvoir terrestre, mais pour diminuer son arbitraire en accord avec une compréhension fondamentale du but de l’existence humaine
Il n’y avait rien de nouveau dans l’attitude du Christ envers les pauvres et les opprimés. Ce qui était nouveau, c’était sa volonté de l
a mettre en pratique sans dureté et d’étendre son principe à tout et à tous.

Il a employé la notion de dette et de son abolition (avec des exemples extrêmes) dans son enseignement sur le Royaume de Dieu lui-même. Ce que nous apprenons, c’est que cette loi de l’inutilité – le refus de maximiser notre propre puissance et efficacité – va au cœur même de ce que signifie exister à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Bien sûr, l’enseignement du Christ a été obscurci à de nombreuses reprises et en de nombreux endroits. Ceux qui veulent le pouvoir et la richesse trouvent cela terriblement gênant. Le Christ a interdit l’usure – l’imposition d’intérêts sur les dettes. Cela faisait en fait partie du droit byzantin et du droit romain occidental pendant un certain temps. Il y avait des moyens de contourner cela (laissez les Juifs prêter de l’argent à intérêt, car ils n’étaient pas sous la loi chrétienne – et vous pourrez ensuite les attaquer en tant que «amoureux de l’argent» afin qu’ils puissent être tués et leurs biens saisis) .

Par la suite, l’enseignement du Christ devait recevoir une interprétation plus pratique: «usure» signifiait un intérêt «exorbitant» sur la dette – et c’est la base de nos lois actuelles sur la dette. Curieusement, l’intérêt le plus élevé autorisé dans notre économie ( aux USA ) concerne les cartes de crédit renouvelable et le crédit à la consommation – qui pèsent principalement sur les pauvres – ceux qui  ont le moins de moyens. Les taux d’intérêt les moins chers vont aux plus gros emprunteurs. Peu de choses ont changé au cours des millénaires. L’argent est très utile, et les intérêts payés par les pauvres le sont aussi. Y compris les intérêts payés sur les prêts étudiants.

L’évolution et la montée de la conscience moderne pourraient être mesurées par la montée et la domination de l’utilitarisme (la philosophie de l’utilité). L’utilité a été élevée au niveau d’ une vertu religieuse. Le monde moderne n’était pas le résultat de l’intentionnalité de quelqu’un – c’était (et est) un accident – les conséquences inattendues de beaucoup de choses – dont la moindre n’était pas la Réforme protestante et le démantèlement qu’elle a entraînée du consensus médiéval de l’Europe occidentale.

En Angleterre, par exemple, avec l’abolition du catholicisme romain, un nouveau mode de vie a commencé à se développer. Il y avait environ 50 jours par an sur le calendrier médiéval marqués par des jours de fête ( fêtes religieuses ou autres), plutôt que de travail normal.  Cinquante jours de célébration inutile (en plus des 52 dimanches de l’année) à la gloire de Dieu. Ces jours ont disparu pour la plupart. Lorsque Max Weber a écrit sur «l’éthique du travail protestant» et a vanté la productivité supérieure de l’Europe du Nord protestante sur l’Europe du Sud catholique paresseuse, il a oublié de noter que sept semaines de jours ouvrables ont été ajoutées au calendrier protestant. Il est facile d’être plus productif lorsque le travail ne s’arrête jamais.

L’éthique du travail est devenue une éthique culturelle (partout dans le monde). Nous prenons des vacances, assez souvent, pour pouvoir revenir en tant que meilleurs travailleurs. Trop peu de choses sont faites pour elles-mêmes. Pourquoi Dieu a-t-il mis de côté autant de temps pour l’inutilité? Apparemment, lorsque la vie devient motivée par l’utilité, nous négligeons et ignorons les choses qui ont le plus de valeur et qui sont trop facilement jugées inutiles.

Le prophète Amos a fait cette observation:

Écoutez ceci, vous qui dévorez l’indigent, Et qui ruinez les malheureux du pays!
Vous dites: Quand la nouvelle lune sera-t-elle passée, Afin que nous vendions du blé? Quand finira le sabbat, afin que nous ouvrions les greniers? Nous diminuerons l’épha, nous augmenterons le prix, Nous falsifierons les balances pour tromper; Puis nous achèterons les misérables pour de l’argent, Et le pauvre pour une paire de souliers, Et nous vendrons la criblure du froment.
(Amos 8: 4-6).

Il semble que très peu de choses aient changé depuis. Nous ne parvenons pas à honorer le Dieu inutile et, ce faisant, nous avons oublié comment et pourquoi nous vivons.

https://blogs.ancientfaith.com/glory2godforallthings/2020/05/04/the-useless-god/

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