Allocution du Métropolite Joseph à l’Assemblée Nationale (29/11/2012)

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Assemblée des Evêques Orthodoxes de France
Audition Assemblée Nationale 29 novembre 2012
Allocution de Son Eminence le Métropolite Joseph
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers concitoyens,
Parlant au nom de l’Assemblée des Évêques Orthodoxes de France ainsi qu’au nom de tous les chrétiens orthodoxes de notre pays, j’ai l’honneur de vous saluer et de vous assurer de prime abord que nous prions constamment, dans chacune de nos liturgies, « pour notre pays, pour ceux qui le gouvernent et pour tout son peuple » (grande litanie de paix). C’est à dire, nous vous portons tous, quel que soit votre statut et votre condition, dans nos prières et, la prière ne peut être, dans ce contexte, qu’amour et attention aimante envers l’autre.


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Je souhaite en liminaire, et avant d’aborder le projet de loi objet de notre audition, vous parler en toute transparence et ouvertement, avec le langage d’un pasteur chrétien, « pasteur » au sens le plus profond de ce terme, qui implique une paternité spirituelle à l’égard de tous, de tous ses enfants, quels qu’ils soient et quelle que soit leur condition, un « pasteur » qui doit s’attendrir dans une attitude pastorale et compréhensive sur ses enfants, qui doit les porter tous, dans son coeur et sa prière, mais qui doit aussi, adopter vis-à-vis d’eux une attitude que dicte l’amour, qui est celle de la vérité à leur égard, pour les ériger à la fois dans l’amour et la vérité.
En tant que pasteurs chrétiens, nous ne pouvons qu’apprécier cette intention que nous souhaitons être louable qui consisterait à nous pousser tous, les uns et les autres, à sortir des préjugés, à ouvrir les yeux du coeur, et à porter, dans la société qui est la nôtre, un autre regard « positif » sur la différence, un regard d’amour et de compréhension et non pas un regard de condamnation et de suspicion. Cette intention est certes louable quand s’agissant des personnes homosexuelles, nos frères, souvent nos fidèles et nos enfants spirituels, il y a lieu de trouver les moyens pour qu’elles ne fassent plus l’objet de discriminations et d’humiliations, comme c’était le cas jusqu’à il n’y a pas si longtemps. Et ceci, est en soi quelque chose d’agréable à Dieu, qui est le Père de tous les êtres humains quels qu’ils soient et quelle que soit leur condition.
Cette situation nouvelle donc, et ce retournement positif que nous devons avoir, nous conduit tous ensemble, à avoir des attitudes nouvelles également, vis-à-vis de la différence et, en particulier, des personnes homosexuelles, pour avoir des attitudes caractérisées par l’accueil, l’écoute et la prise en considération de ces personnes et de leur sensibilité. C’est avec une telle finalité qu’il nous semble que le
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Gouvernement français a voulu peut-être présenter un projet de loi qui « ouvre le mariage aux personnes de même sexe » avec pour objectif de mettre tout le monde à pied d’égalité. Mais cette approche, en mettant tout le monde à « égalité » dans le même moule juridique et sociétal, plutôt que de régler un problème ouvre d’autres, et suscite malheureusement des clivages et des divisions qui renforcent les oppositions et les frontières préexistantes, et dessert complètement l’intention louable qui était, peut-être, celle de porter un regard autre sur la différence. Et c’est là, au fond, sur ce plan que le projet du gouvernement pêche par une forme « d’égalitarisme » qui menacerait la « différence », qui fonde la liberté, et soulève donc une levée de boucliers menaçant la société française d’une nouvelle fracture sociétale.
Notre opinion est que ce projet, qui divise douloureusement les Français, s’il est animé d’une louable intention, celle de prendre en considération et de traiter la condition homosexuelle, a des conséquences sociétales et de civilisation démesurées, et qui n’ont pas été, à notre sens, suffisamment réfléchies et mesurées à leur véritable portée structurelle. Ces conséquences dépassent de loin, en effet, la simple intention égalitaire de départ visant à lutter contre la discrimination dont feraient l’objet les couples homosexuels par rapport aux couples hétérosexuels. Nous souhaitons attirer en effet votre attention sur les points suivants.
1. Il faut le dire, cette question du mariage n’est pas une question seulement pour les religions. Une telle question éminemment structurante pour la société est une question éminemment « sociétale », qui nous concerne tous, au-delà de nos croyances et/ou non croyances. Le mariage n’est pas la propriété d’une religion ou des religions, même si les religions, c’est évident, ont aussi leur mot à dire. Cette institution pluriséculaire concerne toute l’humanité. Le débat sur cette question doit échapper aux clivages traditionnels et à toute forme d’instrumentalisation politique, religieuse ou idéologique. Traitée par le gouvernement sous l’angle de l’égalité des droits, elle dépasse cet angle, aussi légitime qu’il soit, puisqu’elle touche au-delà de la notion du couple, à la conception de la famille, de la filiation, de l’éducation des enfants, de l’altérité, de la différence des genres, des régimes matrimoniaux etc. 2. Nous pensons que l’égalité des droits, qui est un des fondements de tout régime démocratique qui respecte la liberté des personnes, n’implique pas le « gommage » de la différence ni l’intégration de tous dans un même moule juridique, au risque de créer de nouvelles tensions et confusions sociétales. Et si chacun de nous, dans une attitude aimante et compréhensive, est conscient de la nécessité de prendre en compte les transformations de la société,- dans le langage chrétien, on appelle cela la pastorale-, et de répondre à certaines des attentes catégorielles qui en découlent, par souci d’équité, de justice et d’égalité, cela peut néanmoins être traité dans la sérénité et l’apaisement sans menacer d’ébranler une des institutions centrales de notre société.
3. La valeur qu’est l’égalité de tous devant le mariage, ne doit pas devenir une abstraction. L’égalité peut se conjuguer de multiples façons sans toucher aux
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fondamentaux de la société. Des régimes politiques ont voulu placer des abstractions au centre des dynamiques sociales; ils sont vite devenu totalitaires. Il peut exister un totalitarisme de l’égalité (égalitarisme). La laïcité qui est une des valeurs fondamentales de la République française n’a pas besoin de cette abstraction. Il faut trouver des formes, et c’est le rôle de la représentation nationale, qui construisent une égalité ouverte et plurielle et non une abstraction qui, finalement, ne satisfait personne, y compris, in fine, ceux pour qui l’on a voulu généraliser une « forme ».
4. Le projet du Gouvernement qui vise à instaurer pour le mariage, la parité et l’équivalence des couples de même sexe et des couples de sexe différent, provoque en effet en France une des plus grandes crises de son Histoire. Loin d’être une simple réforme de l’institution républicaine du mariage, il s’agit en fait d’un véritable bouleversement profond des structures mêmes de la société civile. Une telle portée est d’ailleurs illustrée par les propos du président de la République devant les maires de France, même s’ils ont été retirés depuis, qui a placé l’opposition qu’auraient certains maires à un tel mariage, s’il venait être adopté par la représentation parlementaire, sur le plan de la liberté de conscience ! Il faut le dire clairement et honnêtement aux Français, une telle réforme n’est pas sans conséquences profondes sur l’ensemble de la société française ! D’ailleurs, les français commencent prendre conscience du problème et à réfléchir à la portée de cette réforme, qui n’est pas simple à porter ! On commence à mesurer la profondeur de la secousse qu’elle introduirait au sein de la société, en mettant en cause une des institutions fondamentales de la République : le mariage civil. Un bouleversement d’une telle ampleur, s’il devait passer tout simplement par un vote de la majorité parlementaire –qui d’ailleurs commence à se poser des questions à son propos – sans un large débat, voir même une consultation du peuple français par voie référendaire, priverait un sujet d’une tel importance du débat et de la préparation dont il serai digne. Le non-débat ici, sur un sujet qui touche à la conscience de millions de français, serait une des formes de déni de démocratie dont souffrent, en parties, nos sociétés occidentales.
5. La proposition du Gouvernement, je le constate, suscite une grave division entre les Français, à l’heure où l’unité nationale a tout particulièrement besoin d’être renforcée et consolidée dans la période de crise structurelle que nous traversons. Le Président de la République s’était engagé, lors de sa campagne électorale, à garantir et à préserver une telle unité nationale : cet engagement, à cet égard, doit être tenu aussi, sous peine de grave discrédit. Il ne peut ne pas être sensible aux voix diverses qui s’élèvent pour mettre en garde contre les dangers d’une telle réforme. Le danger actuel de fracture nationale annonce une division beaucoup plus grave et durable que celles que notre pays a connues dans le passé.
6. Les conséquences sociales (fragilisation de la famille, perturbation psychologique et spirituelle des enfants), culturelles (confusion mentale, révolution dans le vocabulaire et la terminologie fondamentale, crise sémantique, crise des archétypes fondamentaux) et administratives ne nous semblent pas avoir été toutes prises en
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considération. (Le budget prévisionnel-même de cette transformation n’a pas été évalué : il devrait être énorme.)
7. Du point de vue philosophique, le refus de la différence, de l’altérité sexuelle en l’occurrence, serait un appauvrissement de la pensée. L’unité dans la diversité est un mystère mais aussi une grande richesse pour l’humanité. La société dans laquelle nous vivons aujourd’hui doit sa richesse à la présence d’hommes et de femmes différents les uns des autres, par leur origine ethnique, par leur langue, par leur foi religieuse, par leur culture et, puisque c’est de cela qu’il est question, par leur condition sexuelle et affective. L’ouverture du « mariage » aux personnes de même sexe est une forme de négation de l’altérité et de la différence. Or, il peut exister une égalité dans la différence. L’égalité n’est ni l’uniformité ni la confusion. Nous devons avoir le courage de la différence, et inventer des solutions juridiques et sociales nouvelles et adaptées pour prendre en compte les difficultés et les souffrances qui s’expriment et dont on a le devoir et l’obligation d’entendre, sans pour autant remettre les fondamentaux en cause.
8. Pour souligner la secousse culturelle et spirituelle que constituerait ce qui est en fait la destruction de l’institution conjugale, nous tenons à rappeler que la référence biblique est une donnée constitutive de notre civilisation, en particulier de la culture française. Ouvrir le mariage à des personnes de même sexe consiste à supprimer le caractère référentiel de l’image biblique du couple de l’homme et de la femme, image qui renvoie à l’anthologie biblique mais aussi à la finalité structurelle de la constitution d’un tel couple, à savoir l’enfant et la perpétuation du genre humain.
9. La question de l’enfant est aussi centrale dans ce dossier ainsi que celle du droit de l’adoption. Malheureusement, là aussi, on passe à côté de quelque chose d’essentiel et de central et qui touche à la psychologie de l’être. Elle est largement mise de côté et le débat actuel ne lui réserve pas la place qui doit être la sienne dans une telle réforme. « Droit à l’enfant ou droit de l’enfant ? » La question n’est pas aussi simple qu’on nous la présente. Les débats et les études psychologiques et psychanalytiques se rejoignent et se contredisent, ici et là, tous les jours. Avons-nous aujourd’hui le recul nécessaire et l’objectivité suffisante pour apprécier à sa juste portée, les effets positifs ou néfastes qu’aurait une telle réforme sur la question de l’enfant dans un couple ? Je ne voudrais pas me prononcer ici à la place des spécialistes, un peu d’humilité aide beaucoup à avancer dans le droit chemin, mais je pense, mesdames et messieurs, que vous devez avoir une idée de ce qu’est ma position là-dessus. Je terminerai tout simplement sur ce chapitre en disant que l’enfant n’est pas et ne doit pas être un champ d’expérimentation et la famille n’est pas un laboratoire. Essayons de mesurer tous les dégâts que nous porterons aux générations futures si on prive nos enfants, vos enfants, les enfants de la nation française des repères qui fondent les différences et donc des libertés !
10. La présence de communautés religieuses et philosophiques est une réalité objective dans notre pays. Nous apprécions le fait que leur parole et pensée soient
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entendues et prises en considération par l’audition de ce jour ; mais nous attendons encore davantage de la part du gouvernement pour prendre en compte les prises de position détaillées et approfondies de ces diverses communautés qui, en l’occurrence, au-delà de leur différences, ont été toutes unanimes pour souligner les dangers d’une telle réforme et pour adopter une attitude très critique et réservée sur le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, chers concitoyens, en tant qu’évêques orthodoxes de France, nous avons la responsabilité au regard de notre foi, mais aussi de notre conscience humaine, et de notre responsabilité citoyenne, de formuler les demandes suivantes:
* le retrait d’un tel projet de loi;
* sinon, suspendre à son examen par la représentation nationale, afin d’organiser un débat national le plus large possible dans des conditions d’apaisement, de respect et de sérénité afin d’entrevoir toutes les possibilités de solutions juridiques alternatives qui permettent de prendre en compte les situations catégorielles sans remettre en cause les fondements;
* l’organisation d’un référendum proposé à tous les Français;
* mettre fin à cette nouvelle source de division qui frapperait notre pays qui n’en a pas besoin, et qui va en s’amplifiant.
Je vous remercie de votre accueil, de votre écoute et de votre attention.
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Contact Presse AEOF
Carol SABA
Porte Parole de l’Assemblée des Evêques Orthodoxes de France
Tel: + 33 (0)6 20 18 46 77 – Email: contact@aeof.fr
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