Un dialogue intéressant (2/4)

 

LOPEZ: Vous écrivez: «Nous, les chrétiens nous savons que Quelqu’un est là. Nous savons qu’Il nous aime et qu’Il nous a promis qu’il ne nous (Matt 28:20) quitterait pas. Mais qu’en est-il des doutes ?

MATHEWES-GREEN : Les gens disent qu’ils ont «des doutes», mais ce qu’ils ont vraiment sont des pensées de doute. Penser à ce sujet de cette manière çà fait une différence, et la compréhension de nos pensées est une pierre angulaire de la spiritualité orthodoxe. Nous sommes constamment assaillis par des pensées qui ne sont pas souvent utiles, ou même pas vraies. L’objectif est de reprendre possession de ce domaine mental et de se tenir dans la prière, avec attention dans la présence de Dieu. Il s’agit d’apprendre à rester dans la réalité, plutôt que d’errer dans notre brouillard habituel de pensées sans but. Les pensées de doute sont typiquement futiles. Elles vont tourner autour de nous. Donc, vous ne devez pas passer du temps à essayer de les résoudre, car il n’y a pas de solution. Dans cette vie, vous n’allez pas tout simplement pas vous mettre à recueillir suffisamment d’informations pour «prouver» la question d’une façon ou d’une autre. Ainsi, vous pouvez apprendre à reconnaître une pensée de doute simplement par son approche, par sa forme, alors qu’elle n’est pas encore entrée en vous. Et vous pouvez décider de ne pas passer du temps à discuter avec elle. Cela ne signifie pas que vous n’avez absolument aucun doute ; cela signifie juste de prendre une décision à propos de comment vous allez consacrer votre temps. Et nous pouvons dire aux pensées de doute : «Je ne vais pas tourner en rond avec ce sujet à nouveau ». Et nous pouvons dire, « je vais faire ce que j’ai décidé de faire : je vais continuer à aller à la Liturgie le dimanche, je ne cesserai pas de dire mes prières et de continuer à lire la Bible. ».Cela simplifie les choses. Vous continuez à vous affirmer. Vous ne devez pas faire comme dans un match de catch avec des pensées qui n’ont aucune fin. Bien sûr, cela fonctionne pour beaucoup d’autres sortes de pensées troublantes aussi.

LOPEZ: Que voulez-vous dire par «la vie dans le Christ»?

MATHEWES-GREEN:  C’ est difficile à mettre en mots, mais je peux au moins dire que cela signifie quelque chose de littéral. Ce n’est pas une bulle pieuse. Le Christ est une personne, et nous Le connaissons en tant que personne. Comme lorsque nous nous rapprochons des gens que nous aimons alors nos cœurs deviennent mystérieusement mêlés avec leurs cœurs ; il y a là aussi une union ineffable. Nous devenons de façon semblable un avec le Christ. Mais il y a quelque chose de plus. Parce que Dieu remplit toute la création, chaque molécule, Il est déjà en nous, plus profondément que nos esprits, plus profondément que la vie qui anime notre corps. Devenir un en Christ est un processus de découverte de quelque chose qui est déjà vrai, bien que ce soit un procédé pour le rendre vrai, en écartant les rebuts et les distractions, et apprenant à rester régulièrement à sa présence. Et aussi, cela est merveilleux. C’est la vie.

LOPEZ: Pourquoi l’orthodoxie est si difficile? C’est cela est le christianisme est-ce pas ?

MATHEWES-GREEN: Oui, le christianisme est intrinsèquement difficile, mais il y a quelques décennies, il y a des gens qui ont décidé de le rendre plus facile. J’ai grandi dans les années 60, et je me souviens quand tout le monde était en effervescence autour de l’idée que l’église devrait être «pertinente». Un long et lent processus de banalisation s’est mis en place.  La « pertinence » est apparue pour désigner tout ajustement destiné à satisfaire les « besoins ressentis » de la congrégation, les éléments plus difficiles ont été jetés dehors, et la sentimentalité a été mise en vogue. Le culte a changé en passant de quelque chose offert à Dieu, à quelque chose offert par          « l’équipe du culte » aux fidèles. Je pense que, dans ce cadre, les gens finissent par se sentir vaguement instables, mécontents, mais ils ne savent pas vraiment pourquoi. Certains passent d’une église à l’autre ; d’autres arrêtent totalement d’aller à l’église. Le but de toute religion est de connecter les gens avec quelque chose de plus grand que soi, mais une religion qui se hâte à vous plaire devient de la taille de quelque-chose de familier. Il y a de la place pour toutes sortes d’églises dans le monde, et il y a une place pour celle qui est franchement difficile.

LOPEZ: Vous écrivez à propos de la façon dont les icônes semblent avoir « une manière troublante de devenir vivantes ». Comment elles «regardent à travers vous » et quelle différence cela fait-il ?

MATHEWES-GREEN: La foi en la résurrection signifie croire que les gens représentés dans les icônes sont vivants – qu’ils sont en vie en ce moment, dans le Paradis, dans la présence du Seigneur. Les Icônes ne sont pas des objets magiques ; ils ne saisissent pas ou n’incarnent pas les gens qu’ils représentent, mais plutôt ils offrent un point de contact, un lieu de rencontre (comme une photo d’un être cher peut l’être pour une personne qui est en deuil).Les Icônes ne sont pas des portraits ; ils sont destinés à nous montrer comment cette personne devient quand la lumière du Christ brille à travers elle. Les icônes nous montrent où nous allons, ce que nous visons. Vous mettez tout ça ensemble, en ajoutant que la personne que vous regardez dans une icône regarde directement ​​le spectateur, la prise de contact visuelle étant complète, oui, cela peut être déstabilisant. C’est également un autre aspect du « défi ».

LOPEZ: Serait-il juste de penser que vous ne semblez pas particulièrement préoccupée par l’unité des chrétiens? Ou bien que vous êtes plus préoccupée que quelqu’un soit authentiquement chrétien déjà, qu’il vive différemment le christianisme et comprenne sa foi ?

MATHEWES-GREEN : Je pense que cette dernière assertion est la bonne, je pense que les chrétiens doivent en priorité chercher l’unité avec leur Seigneur, et vivre leur foi d’une manière humble qui soit visible. Et nous devons accepter que ce faisant, rendre visible notre foi, cela peut entraîner un rejet. Mais quand les chrétiens brillent avec une foi vivante, même s’ils sont sans influence sociale, ils affectent subtilement tout le monde autour d’eux. Les petits feux commencent à être allumés. Les vies commencent à changer. Ceci est quelque chose qui ne se produit que lorsque les gens établissent des relations entre eux, directement et honnêtement. Cela ne vient pas d’une commission publiant un communiqué. Notre inquiétude sur la façon dont le christianisme est perçu par l’opinion publique est mal placée. Il n’y a pas «de public». Il n’y a que des personnes – chacun est un être unique et irremplaçable. Chacun a son propre destin, et a sa propre vocation dans le Christ. Donc, nous les chrétiens nous devons mettre en priorité le repentir (c’est-à-dire la transformation de soi), la prière, l’humilité – en bref, la sainteté. Et aussi s’attendre à être ridiculisés et méprisés. Mais nous pouvons nous attendre aussi à découvrir des moments de véritable lien avec ceux que le Christ appelle. Un saint orthodoxe très aimé, saint Séraphim de Sarov (1759-1833), a déclaré, «acquiers l’esprit de paix, et des milliers autour de toi seront sauvés ». Mais à propos de la première question – que dire de l’unité institutionnelle ? Eh bien, les orthodoxes n’ont même pas l’unité institutionnelle entre eux. L’Eglise sur le plan institutionnel est une organisation qui couvre une nation ou un peuple, mais il n’y a pas un conseil supérieur international réunissant toutes les églises nationales ensemble. Cela ne semble ne pas nécessaire.   Ce qui tient les orthodoxes ensemble est une foi commune – croyant en les mêmes choses. C’est comme une connexion intérieure, comme dans un squelette. Les gens apprennent la foi à partir des anciennes liturgies, des icônes, des hymnes et des fêtes, et tout cela est le même dans toutes les cultures. Tout le monde est responsable de la préservation de l’ancienne foi, et personne n’a le pouvoir de changer, donc nous restons unis. Je sais que cela semble impossible, mais ça marche. (Dans le livre, je raconte une histoire à propos d’une congrégation qui a changé les serrures de leur prêtre, quand il a enseigné quelque chose qu’ils savaient ne pas être vrai.) Étant donné que nous ne disposons pas ou bien que nous ne voulons pas disposer d’une organisation internationale unissant tous les orthodoxes, nous ne ressentons pas la nécessité d’appartenir (et encore beaucoup moins se soumettre à) une organisation réunissant tous les chrétiens.  Je me demande même si nous ne sommes pas allés trop loin en minimisant les différences théologiques entre chrétiens. C’est comme si nous n’accordons pas vraiment de l’importance à ce que nous croyons. Mais la théologie a des répercussions pratiques ; la théologie est un guide, et elle a son importance. Je souhaiterais que nous puissions expliquer et défendre les croyances différentes qui comptent pour nous, sans insulter l’autre. Je pense aux publicités de Colgate et Crest, qui se sentent évidemment libres de proclamer combien ils sont merveilleux, et de montrer leurs traits distinctifs, mais sans dénigrer l’autre.

LOPEZ: En quoi les problématiques des  orthodoxes différent de celles qui sont typiques de la théologie occidentale ?

Source : http://www.nationalreview.com/article/419718/orthodox-way-knowing-god-nr-interview

Kathryn Jean Lopez est senior fellow à l’Institut National Review et  éditeur (at large) de la National Review Online.

Frederica Mathewes-Green est une orthodoxe américaine. (Voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Frederica_Mathewes-Green)

(A suivre)