Sur un lit d’hôpital

 

L’homme moderne ne peut pas tomber malade. L’homme (moderne) devrait sourire partout avec ses 32 dents, montrant que tout va bien pour lui maintenant et qu’il sera encore meilleur. Sinon, vous êtes considérés comme un malchanceux, et il n’y a aucun moyen que vous puissiez être malchanceux dans notre société. Dans la société moderne, le culte de l’homme en bonne santé et prospère est plus fort que chez les Spartiates. Ouvrez n’importe quel magazine et voyez comment les gens qui y sont présentés sont beaux et en en bonne santé. Mais, malgré les acquis de la médecine moderne, il y a de plus en plus de maladies chaque jour. Et quand elles vous rattrapent, vous vous sentez comme une victime, comme quelqu’un qui est tombé d’un avion.

Quand je me suis retrouvé à l’hôpital pendant presque deux semaines, j’ai eu matière à réflexion. En premier lieu, tous mes plans semblaient avoir été sérieusement réécrits par quelqu’un, et ce «quelqu’un» l’avait fait sans être le moins du monde intéressé par mon opinion. Au début, j’ai essayé de m’y opposer. J’ai pris des poignées de pilules et j’ai fait plusieurs injections, je me suis donné une bonne apparence, mais mon état a ensuite empiré et on m’a emmené à l’hôpital dans une ambulance avec des gyrophares.

Soudain, il me sembla que ma vie ne m’appartenait pas – et en plus, même mon propre corps cessa de m’obéir. Mon corps qui était fort et pleinement fonctionnel avant cela était devenu lent et faible. Et toutes les choses habituelles qui semblaient faire partie de moi se révélaient aussi ne pas être miennes du tout : ceux qui me sont chers, mes bien-aimés, les livres, mes programmes, mes pensées, mes idées – tout est resté quelque part là-bas, et moi, impuissant et faible, je me trouvais ici dans une pièce au plafond blanc qui sentait les médicaments.

Tout à coup, vous commencez à comprendre que, dans la réalité, rien dans le monde ne vous appartient. Parce que le moment de votre départ peut venir à tout moment et tout ce qui est à vous est laissé aux autres. Au début, cela vous effraie, mais ensuite vous commencez simplement à prier. Et cette prière diffère beaucoup de vos mots de prière habituels dits avec distraction. Vous ne prononcez pas simplement les mots de la prière, vous pleurez et vous criez, parce que tout cela vous arrive réellement. Et vous devez faire quelque chose dans cette situation.

Et à un certain moment Quelqu’un de mystérieux touche votre cœur, et un calme survient. Dans ce calme, des larmes de repentance coulent comme des ruisseaux, et à partir de cet état votre cœur sec revient à la vie. Puis de manière inattendue vous ressentez la paix dans votre âme ainsi que le genre de repos que vous avez éprouvé dans les bras de votre mère pendant votre enfance. Vous cessez de vous inquiéter et de vous agacer, et vous vous confiez à ce mystérieux Médecin qui tient votre cœur tourmenté entre Ses mains, et vous vous réjouissez tranquillement.

Les saints, contrairement à nous, ne se plaignaient pas, et accueillaient les maladies comme de chers invités. Car, en se livrant entre les mains de Dieu avec toutes leurs peines et infirmités, ils ont révélé la grande miséricorde de Dieu pour l’homme. Le dernier Ancien d’Optina, saint Nikon (Belyaev), a écrit ceci de la prison, où il avait été jeté parce qu’il était un moine :

« J’en suis venu à la conclusion que le chagrin n’est rien d’autre que la réaction émotionnelle de notre cœur quand quelque chose arrive contre nos propres désirs, contre notre propre volonté. Pour que le chagrin ne vous accable pas gravement, vous devez renoncer à votre propre volonté et vous humilier devant Dieu à tous égards. Dieu désire notre salut et le conçoit d’une manière incompréhensible pour nous. Confiez-vous à la volonté de Dieu et vous trouverez la paix pour votre âme et votre cœur affligés.  »

Les saints ont accepté la maladie comme une visitation de Dieu, et d’une manière incompréhensible l’infirmité est devenue une source de force spirituelle vivifiante qui a transformé leurs âmes. Dans les maladies, ils devinrent des compagnons de la souffrance du Christ et montèrent à des hauteurs spirituelles jusqu’alors inconnues. Ils ont humblement accepté les maladies pour leurs péchés et sont devenus des saints par l’humilité et la grâce du Sauveur.

À l’hôpital, j’ai découvert ce que sont les amis orthodoxes et quelle est la prière en commun, ce qui m’a littéralement remis sur pied. Quand mes bras avaient commencé à souffrir des perfusions sans fin et que  sur mon cœur j’avais l’impression qu’on y avait posé une pierre tombale glaciale, je me souvins de tous mes amis orthodoxes, parmi lesquels beaucoup de prêtres et de moines, et je commençais à demander leur aide. Et sur ma page Facebook, j’ai écrit : « Je demande vos prières ! Je suis allongé à l’hôpital dans un état grave.  »

Le troisième jour, je me suis réveillé tôt le matin, me sentant totalement bien, avec un désir de prier depuis longtemps oublié. Pas parce que je « devais », mais parce que vous ne pouvez pas faire sans prière. C’était comme une faim sauvage, exactement comme celle d’un prisonnier qui vient de sortir d’une longue incarcération !

Le lendemain était le dimanche des Rameaux. J’attendais avec impatience le matin, afin de commencer rapidement à lire ma règle de prière et, en général, à prier de mon âme à la Très Sainte Mère de Dieu et à tous mes saints préférés. Je l’ai lu à voix haute –pourquoi être timide surtout si vous êtes seul dans la pièce ? Soudain, on frappa à la porte : c’était Andrei, de la pièce voisine, qui, malgré l’heure matinale, ne dormait pas non plus. De façon inattendue, il m’embrassa, m’embrassa trois fois, puis dit doucement, me regardant dans les yeux : « Salut pour ce bon dimanche des Rameaux, frère ! Christ est parmi   nous ! Je suis fatigué de t’entendre prier à travers le mur. Aujourd’hui c’est un jour de fête – prions ensemble ! « Et moi qui priais derrière des portes closes, en me cachant comme un partisan dans la forêt ! Et il s’est avéré que cet homme va à l’église, communie son fils le dimanche, et pour se confesser il va au loin chez un prêtre bien connu à quatre heures du matin. Ça m’a juste touché aux larmes. « Là, » pensais-je, « Dieu m’a envoyé un frère. » Et Andrei et moi avons commencé à lire les prières ensemble. Nous avons lu, nous nous sommes enlacés et avons fait des prosternations – c’était un vrai plaisir ! Et quand le temps est venu pour la perfusion, avant de procéder, l’infirmière, Lyuba – je ne sais pas pourquoi – a commencé à me parler des commandements de Dieu et de la façon dont nous ne pouvons pas nous considérer comme de vrais chrétiens si nous ne les accomplissons pas. Car « alors toutes nos paroles sur la façon dont nous aimons le Christ sont un mensonge et une ruse noire – juste une sorte d’horreur ! » « Vous me comprenez ? » Me demanda la merveilleuse Lyuba en me regardant dans les yeux. Je hochai la tête en signe d’accord, et pria silencieusement, « Gloire à Toi, ô Dieu, gloire à Toi ! » Et je ne pouvais pas m’arrêter (de rendre Gloire à Dieu).

Denis Akhalashvili

Source : http://orthochristian.com/113664.html